Grand œuvre de Platon, La République est l’un des livres les plus importants de toute l’histoire de la philosophie. L’élève de Socrate y propose de bâtir une cité idéale et un modèle de vie communautaire où la philosophie règnerait. Mais l’épaisseur de ce texte et ses développements parfois denses peuvent en rebuter plus d’un…

Aux manettes de cette BD philosophique, le dessinateur et scénariste Jean Harambat. Cet auteur, qui a suivi des études de philosophie, a été sélectionné à quatre reprises au Festival d’Angoulême ; il a notamment été lauréat du prix Goscinny en 2017 pour Opération Copperhead (Dargaud, 2017) et a remporté à deux reprises le prix de la meilleure BD historique de Blois, en 2008 et 2014. Bref, Platon est entre de bonnes mains !

Dans la préface, dont nous publions des extraits ci-dessous, Jean Harambat explique comment il a pensé cette adaptation et ce qui lui a tant plu dans ce travail.

« Mon professeur de philosophie de terminale au lycée de Mont-de-Marsan jouait du trombone, dans un de ces orchestres que nous appelons ici “Bandas”. Jean-François Dupeyron nous parlait de Rousseau et des rêveries d’un promeneur solitaire avant le Tournoi de rugby qui comptait à l’époque cinq nations… Un après-midi, lors des fêtes patronales au cours desquelles ces orchestres sont invités à jouer dans les villes des Landes, je surpris mon professeur à l’écart du groupe de musique. Il errait dans les rues, mélancolique, un verre de vin à la main et, sur la tête, posé comme un entonnoir, son trombone. Solitaire sous le soleil, avec son grand couvre-chef en cuivre, il avait quelque chose du professeur Tournesol et de Merlin l’Enchanteur. C’était là mon premier enseignement socratique ! La situation ambiguë du philosophe, sa place à la fois dans le groupe et à l’extérieur, la tension qui existe entre la loi et la liberté, entre la cité et l’humain. La recherche de la sagesse est inséparable d’une vie qui demande un pas de côté. […]

Je dois avertir le lecteur. Cette œuvrede Platon ne peut pas donner une bande dessinée d’aventures. La seule scène d’action qui s’y présente est celle d’un esclave qui agrippe le manteau de Socrate. La République, ce sont quelques hommes dans une villa du Pirée qui tentent de faire la clarté sur la question de la justice. C’est une aventure de l’esprit, où il faut s’accrocher au manteau de Socrate. Il n’est toutefois pas si absurde de représenter La République de Platon en bande dessinée car le petit théâtre de papier qu’est la BD permet d’incarner les êtres. Ils sont en deux dimensions, certes, mais ils peuvent malgré tout soupirer, se gratter la barbe, rire, et esquisser un pas de danse quand le corps reprend ses droits. Cette bande dessinée est une invitation à écouter Socrate, avec ce qu’il faut d’appétit pour le mystère et le petit théâtre platonicien. […]

Pour inviter l’interprétation, je me suis appuyé sur la traduction et les notes de Jacques Cazeaux, les livres de Leo Strauss, de Frédéric Gros, d’Alexandre Koyré et de quelques autres. Et sur des conversations amicales. C’est surtout La Cité et son ombre d’Allan Bloom, cet essai libre et pénétrant, qui a nourri mon travail et m’a permis d’incarner Socrate en dessin. Car les dialogues platoniciens sont comme le Talmud, l’interprétation n’en finit pas. Si Philosophie Magazine ne m’avait pas fixé un cadre et des délais, mes pages seraient sans doute meilleures, mais elles seraient inachevées. François Lissarrague m’a fourni des images de l’iconographie antique susceptibles de faire vivre, dans ma BD, les propos des personnages dans ce dialogue qui se défie des images. J’en recopie certaines et j’en invente d’autres. Ne dit-on pas que les figures sur les récipients antiques sont les premières BD sur L’Iliade et L’Odyssée ? Il en est une que j’ai reproduite dans le livre et qui me plaît particulièrement : c’est une représentation d’Ulysse, vilain, ventru, roublard, qui tente de sauver sa carcasse menacée par Poséidon en colère. Il ressemble à Socrate, qui se veut l’Ulysse de la Raison. Sur ce vase grec, cet Ulysse-Socrate court au-dessus des vagues, son manteau flotte dans le vent. Agrippons-nous. »

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