Ma chère petite : Pendant longtemps j’ai souhaité t’écrire le soir, après ces sorties avec des amis dont j’écrirai bientôt dans “A Defeat”, lors desquelles le monde semble à nous. Je souhaitais t’apporter mes joies de conquérant et les étaler à tes pieds, comme ils le faisaient à l’ère du roi soleil. Et en réalité, épuisé par le vacarme, j’allais toujours simplement me coucher. Aujourd’hui je t’écris pour sentir le plaisir que tu ne connais pas encore, de passer abruptement de l’amitié à l’amour, de la force vers la tendresse. Cette nuit je t’aime d’une manière que tu ne connais pas encore en moi : je ne me trouve pas épuisé par les voyages ni enveloppé par le désir de ta présence. Je maîtrise mon amour pour toi et je le porte vers l’intérieur de mon être comme un élément constitutif de moi-même. Cela se produit beaucoup plus souvent que je ne veux l’admettre quand je suis face à toi, mais rarement lorsque je t’écris. Essaie de me comprendre : je t’aime tandis que tu portes ton attention sur des choses extérieures. A Toulouse, je t’aimais, simplement. Cette nuit je t’aime lors d’une soirée de Printemps. Je t’aime avec la fenêtre ouverte. Tu es mienne et les évènements sont miens ; et mon amour transforme les choses autour de moi et les choses autour de moi transforment mon amour.
— Jean-Paul Sartre