Avant que tu me connaisses, quand rien ne nous unissait hormis une amitié rêveuse, j’imaginais déjà de mon côté (dans une pureté absolue et c’est le plus délicieux de la figuration) les merveilles d’une promenade en Allemagne. Celles que nous avions faites à Madrid m’avaient rendue gourmande et je pensais en moi-même : “Qu’il serait bon d’émigrer avec cet individu. Il me considérera comme une sœur, ou encore mieux, comme un ami de confiance. Je l’écouterai parler à toute heure. J’apprendrai de lui des choses sur les romans, l’esthétique et l’art. Nous verrons tout d’un intérêt redoublé et cela portera doublement ses fruits. Il semble avoir la santé fragile : je prendrai soin de lui, car je suis robuste. Il m’en sera reconnaissant : il me portera beaucoup d’affection et c’est ainsi que nous serons pour toujours amis. On nous croira mari et femme et comme il n’en sera rien, nous en rirons…” Enfin, voilà, une poignée de bêtise. Je n’ai pas réfléchi, je le jure. Ton apparente froideur, le respect que je te portais, ton apparence formelle et réservée ont fait disparaître cette idée dans sa totalité.
— Emilia Pardo Bazán