
Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente.
Le 8 décembre 1864 naissait la sculptrice et peintre française Camille Claudel, qui fut l’une des principales représentantes de la sculpture pour la période fin XIXe-début XXe siècle malgré une vie particulièrement difficile. Née dans une famille bourgeoise, elle se passionna dès son adolescence pour la sculpture et prit son envol en 1882 lorsqu’elle loua un atelier à Paris tout en suivant également ses premiers cours sous la direction d’Alfred Boucher (1850-1934), un artiste renommé qui fut notamment le futur fondateur de La Ruche, une communauté d’artiste regroupé dans un phalanstère. Ce fut dans ce cadre qu’elle rencontra le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917) dont elle devint rapidement la muse puis la maîtresse, celui-ci étant déjà le compagnon d’une autre de ses élèves. Durant la dizaine d’années que dura leur relation, Camille inspira et collabora à plusieurs œuvres de Rodin tel que Le Baiser (1888) mais elle ne délaissa pas pour autant sa propre carrière.
Camille Claudel réalisa en effet plusieurs sculptures au sein de son atelier où elle travaillait en compagnie d’autres artistes parmi lesquels sa grande amie anglaise Jessie Lipscomb (1861-1952). On peut notamment citer parmi ses œuvres les plus connues « Paul Claudel à seize ans » (1884) représentant un buste de son frère, « La Valse » (1883-1905) représentant deux danseurs nus et enlacés, « La Petite Châtelaine » (1892-1986) représentant le buste d’une petite fille, « La Jeune Fille à la gerbe » (≈1886) faite en terre cuite et coréalisé avec son amant ou encore « L’Âge mûr » (1898-1913) qui est une allégorie du temps et de la fin de sa passion. Elle connaît alors un certain succès, ses œuvres en bronze proche du style Art nouveau sont remarquées et elle reçoit une médaille à l’exposition universelle de 1900. Mais sa carrière ne décolla jamais vraiment. Pire, sa vie privée était plus que compliqué car elle souffrait de sa relation avec Rodin dont la présence et l’influence l’étouffait. Sa santé mentale se détériora progressivement au début du nouveau siècle et elle devint alors paranoïaque au point de détruire ses œuvres et de s’enfermer dans une solitude qu’elle ne quitta jamais.
La mort de son père et seul protecteur en 1913 marqua la fin de sa vie indépendante puisque sa famille la fit aussitôt interner dans un asile où elle passa les trente dernières années de sa vie sans que sa mère et son frère Paul (1868-1955) ne daignent l’en sortir. Elle vécut dès lors dans une extrême solitude seulement interrompue par les rares visites qu’elle recevait comme celles de son amie Jessie. Camille Claudel mourut finalement dans l’indifférence totale en 1943 à l’âge de 78 ans. Bien qu’elle continuât d’être exposée durant son internement, cette grande artiste n’aura jamais vraiment connu de son vivant la reconnaissance qu’elle méritait et n’aura passé qu’une petite partie de sa vie libre et maîtresse de son art. Le film sobrement intitulé “Camille Claudel” sorti en 1988 et multi oscarisé permit de la faire connaître au grand public et de lui donner un autre statut que celui de compagne de Rodin.
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Source : Musée Camille Claudel – museecamilleclaudel.fr –
Je couche toute nue pour me faire croire que vous êtes là mais quand je me réveille, ce n’est plus la même chose.
— Camille Claudel à Auguste Rodin, fin juillet 1891
Un roman, même une épopée, il faudrait bien Homère pour la raconter. Je vis dans un monde si curieux, si étrange… Du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar.
Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente.
Ce n’est pas ma place au milieu de tout cela, il faut me retirer de ce milieu, après quatorze ans, aujourd’hui d’une vie pareille, je réclame la liberté à grands cris.
— Auguste Rodin à Camille Claudel -1886-
Ma féroce amie,
Ma pauvre tête est bien malade, et je ne puis me lever ce matin. Ce soir, j’ai parcouru (des heures) sans te trouver nos endroits, que la mort me serait douce ! et comme mon agonie est longue. Pourquoi ne m’as-tu pas attendu à l’atelier, où vas-tu?A quel douleur j’étais destiné. J”ai des moments d’amnésie où je souffre moins, mais aujourd’hui, l’implacable douleur reste.
Camille ma bien aimée malgré tout, malgré la folie que je sens venir et qui sera votre œuvre, si cela continue. Pourquoi ne me crois-tu pas?J’abandonne mon Salon (ou Dalou?) la sculpture; si je pouvais aller n’importe où, un pays où j’oublierai, mais il n’y en a pas. il y a des moments où franchement je crois que je t’oublierai. Mais en un seul instant, je sens ta terrible puissance.
Aye pitié méchante. Je n’en puis plus , je ne puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur.Ma Camille sois assurée que je n’ai aucune femme en amitié, et toute mon âme t’appartient.
Je ne puis te convaincre et mes raisons sont impuissantes. Ma souffrance tu n’y crois pas,je pleure et tu en doutes. Je ne ris plus depuis longtemps, je ne chante plus, tout m’est insipide et indifférent. Je suis déjà mort et je ne comprend pas le mal que je me suis donné pour des choses qui m’indiffèrent maintenant; Laisse-moi te voir tous les jours, ce sera une bonne action et peut être qu’il m’arrivera un mieux, car toi seule peut me sauver pr ta générosité.
Ne laisse pas prendre à la hideuse et lente maladie mon intelligence, l’amour ardent et si pur que j’ai pour toi enfin pitié ma chérie, et toi-même en sera récompensée.
RODIN
— Auguste Rodin à Camille Claudel
Monsieur,
— Camille Claudel à Antoine Bourdelle
Vous me causez une grande joie en me disant que vous êtes parvenu à me faire commander mon petit buste en marbre et à un prix plus élevé que je ne pensais.
Je vais me mettre au travail tout de suite et vous me rendez un peu du courage qui commençait à me manquer. J’en suis très touchée venant d’un artiste tel que vous et l’admiration spontanée est une chose précieuse.
Cher Paul,
Aujourd’hui 3 Mars, c’est l’anniversaire de mon enlèvement à Ville Évrard, cela fait 17 ans que Rodin et les marchands d’objet d’art m’ont envoyé faire pénitence dans les asiles d’aliénés. (..;)
— Camille Claudel à Paul Claudel, son frère – Mont dévergues le 3 mars 1930
Dernièrement on a construit une grande cuisine , au loin à plus d’un kilomètre du pensionnat; on m’a donné la permission d’aller chercher la nourriture avec les bonnes et les femmes de peine; cela me faisait une promenade et une sortie. cela n’a pas duré… j’ai reçu l’ordre de ne plus y aller ; sans motif aucun je suis de nouveau séquestrée.
Je m’ennuie bien de cet esclavage. Je voudrais bien être chez moi et bien fermer la porte. Je ne sais pas si je pourrai réaliser ce rêve, ¨ÊTRE CHEZ MOI.
Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci, car c’est à toi que je dois toute la part de ciel que j’ai eue dans ma vie.
— Auguste Rodin à Camille Claudel, 1886
(…) Le pauvre papa ne m’a jamais vue telle que je suis ; on lui a toujours fait croire que j’étais une créature odieuse, ingrate et méchante ; c’était nécessaire pour que l’autre (Louise sa sœur) puisse tout gratter.(…)
— Camille à Charles Thierry (10 mars 1913)
Louise a mis la main sur tout l’argent de la famille par la protection de son ami Rodin …
A Paul Claudel, 3 mars 1927
Dans une maison de fous […] il y a des règlements établis, il y a une manière de vivre adoptée, pour aller contre les usages, c’est extrêmement difficile ! Il s’agit de tenir en respect toutes sortes de créatures énervées, violentes criardes, menaçantes […]Ce sont des créatures que leurs parents ne peuvent pas supporter tellement elles sont désagréables et nuisibles. Et comment se fait-il que moi, je sois forcée de les supporter ? […]ça n’est pas ma place au milieu de tout cela, il faut me retirer de ce milieu: après 14 ans aujourd’hui d’une vie pareille je réclame la liberté à grands cris…
[…] Oui, mais il faut vivre ! Et bien elle ne vit pas de son art, tu le penses ! Alors le découragement la prend et la terrasse. Chez ces natures ardentes, dans ces âmes bouillonnantes, le désespoir a des chutes aussi profondes que l’espoir leur donne d’élan vers les hauteurs. — Octave Mirbeau, Article dans Le Journal, 12 mai 1895
Je n’en puis plus, je n’en puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur.
— Auguste Rodin à Camille Claudel, 1886
Il me semble que je suis si loin de vous ! Et que je vous suis complètement étrangère ! Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente.
— Camille Claudel à Auguste Rodin, août 1886
(…) Quand à moi je suis tellement désolée de continuer à vivre ici que je ne suis plus une créature humaine. Je ne puis plus supporter les cris de toutes ces créatures, cela me tourne sur le coeur. Dieu que je voudrais être à Villeneuve !
— Lettre de Camille à Mme Claudel, sa mère (février 1927)
(…) Il y a longtemps que je vous ai demandé de faire venir une personne de ma famille. Il y a plus de sept mois que je suis ensevelie dans le plus affreux désespoir. Pendant ce temps on m’a pris mon atelier et toutes mes affaires.
— Lettre au Dr Truelle, médecin en chef de l’asile de Ville-Evrard (14 octobre 1913)
J’ai absolument besoin de voir une personne amie.
J’espère que vous ne me refuserez pas.
Un jour que Rodin me rendait visite, je l’ai vu soudain s’immobiliser devant ce portrait, le contempler, caresser doucement le métal et pleurer. Oui, pleurer. Comme un enfant. Voilà quinze ans qu’il est mort. En réalité, il n’aura jamais aimé que vous, Camille, je puis le dire aujourd’hui. Tout le reste – ces aventures pitoyables, cette ridicule vie mondaine, lui qui, dans le fond, restait un homme du peuple -, c’était l’exutoire d’une nature excessive. Oh ! je sais bien, Camille, qu’il vous a abandonnée, je ne cherche pas à le justifier. Vous avez trop souffert par lui.[…] — Eugène Blot à Camille Claudel, 3 septembre 1932
(…)Aussitôt que je sors, Rodin et sa bande entrent chez moi pour me dévaliser. Tout le quai Bourbon en est infesté ! Aussi, maintenant ma maison est transformée en forteresse : des chaînes de sûreté, des machicoulis, des pièges à loup derrière toutes les portes témoignent du peu de confiance que m’inspire l’humanité. Depuis que je vous aie vue toutes les horreurs sont tombées sur moi, les maladies, le manque d’argent, mes mauvais traitements de toute espèce. Encore en ce moment je suis dans les difficultés jusqu’au cou.
— Camille à Henriette Thierry (1912)
(…) En ce moment le sieur Rodin a persuadé mes parents de me faire enfermer, ils sont tous à Paris pour cela. Le gredin s’emparerait à la suite de ce procédé expéditif du travail de toute ma vie.
— Camille à Henriette Thierry (1913)
(…) Si vous pouviez en même temps inculquer à Mr Rodin délicatement et finement l’idée de ne plus venir me voir, vous me feriez le plus sensible plaisir que j’aie jamais éprouvé. Mr Rodin n’ignore pas que bien des gens méchants se sont imaginé de dire qu’il me faisait ma sculpture : pourquoi donc alors faite tout ce qu’on peut pour accréditer cette calomnie. Si Mr Rodin me veut réellement du bien il lui est très possible de le faire sans d’un autre côté faire croire que c’est à ses conseils et à son inspiration que je dois la réussite des œuvres auxquelles je travaille si péniblement.
— Lettre de Camille à Mathias Morhardt (1896?)
(…)de quelle douleur je suis marqué, et combien ma faute a été grande ; mais je sens qu’en vous voyant, il y avait une fatalité que je ne pouvais fuir.
— Lettre de Rodin à Camille (1895 ?)